Je participe en ce mercredi 2 juin 2021 à mon premier congrès fédéral de la FNEEQ, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec, comme membre de la délégation de mon syndicat, le SPPEUQAM. Je ne distingue pas encore les différents regroupements syndicaux entre eux. Au départ, je pensais que c’était mon second congrès fédéral, alors que j’avais plutôt assisté, en décembre dernier, à un conseil fédéral!
Il faut aussi dire qu’il y a des repères habituels que je n’ai plus. Entre deux capsules vidéos de cours à enregistrer, j’avais tenté de passer en revue les documents en format PDF déposés sur le site de l’organisation. Mais, au fil de la lecture, mes yeux, ces nostalgiques de la feuille de papier usés par quinze longs mois de travail sous la fameuse lumière bleue, mes pauvres yeux s’asséchaient à force de faire face à l’écran, et mêlaient tout.
Il est 9 h. La séance débute et le débat s’enrichit des contributions des uns et des autres. Mon téléphone sonne. C’est le président de mon syndicat. Il m’encourage, avec gentillesse et courtoisie, à prendre la parole si je le souhaite. Il est présentement question, dans les échanges, des partenariats publics et privés au sein de l’enseignement, et le débat porte sur la nécessité de faire peser nos voix, en tant que travailleuses et travailleurs, sur le nouveau modèle économique et social qui s’érige, à grande vitesse, devant nous. Je lève la main et effectue ma première intervention en plénière. Ma fille me sourit. Elle fait l’école à la maison et, lors de ses pauses, écoute avec admiration les vaillantes interventions livrées lors de ce congrès réunissant plus de deux cents personnes et se déroulant en partie chez chacune d’entre elles.
À midi, je dîne rapidement avec ma fille avant d’assister à la rencontre organisée par ma délégation syndicale… toujours en visioconférence. Mes collègues et moi ne pouvons manger ensemble, mais nous échangeons tout de même fraternellement, avant de nous quitter vers 13 h 30. Mes étudiants viennent de commencer leur examen intra-semestriel et j’ouvre ma boîte de courriels, en attente de questions de leur part. Ils en posent quelques-unes et, vers 14 h, je me prépare à aller chercher mon fils à l’école.
Je retourne au congrès et me rends ensuite à un atelier intitulé « Les transformations de la profession enseignante et de l’action syndicale, et la transition post-pandémie ». Les témoignages décrivent des sentiments similaires à ceux que je ressens depuis le début de notre isolement forcé. Je lève la main. La parole m’est à nouveau donnée. Je la prends. Je cherche mes mots. Je ne sais pas si je me fais comprendre. Derrière les caméras, des camarades opinent du chef. Cela m’encourage. Ils m’entendent, me comprennent, me soutiennent. Nous sommes « Ensemble ».
À la fin de l’atelier, je m’en vais retrouver mes étudiants dans les courriels. Je découvre, soulagée, que l’examen s’est bien déroulé pour le groupe. Je prépare le souper l’esprit tranquille, puis me rends rapidement à l’épicerie chercher les provisions du lendemain. Je profite ainsi de la douceur de cette soirée d’été.
Sur le chemin du retour, le mot que je recherchais durant l’atelier m’apparut soudain, alors que je repensais à la rencontre avec ma délégation à leur du déjeuner. Il s’agit du mot « Fraternité ». Je disais plus haut que nous n’avions pas dîné ensemble lors du congrès, nous n’avions pas partagé symboliquement le pain nourricier, mais le partage de nos pensées et impressions, nos échanges avaient été fraternels.
Nos sociétés modernes continuent de s’outiller méthodiquement pour la défense du principe républicain de Liberté, telle que la liberté académique dans le cadre de notre profession, et du principe d’Égalité, telle que l’égalité des opportunités pour toutes et tous, quels que soient le genre, la couleur de peau, la région d’origine, la religion… Mais il nous arrive, de plus en plus, de prendre pour acquis le principe de Fraternité, ce liant par lequel nous faisons société. Or, comme le rappelait Simone de Beauvoir, « rien n’est jamais définitivement acquis ». Alors, il peut arriver que le feu qui alimente nos luttes syndicales couve lorsqu’il ne détone pas. Mais il ne devra jamais s’éteindre, car la lutte syndicale, comme toutes les luttes républicaines, est permanente.
Aussi, en arrivant chez moi, sous un ciel tendrement coloré par le crépuscule, j’ai ressenti ce besoin de remercier du fond du cœur, pour leurs efforts, toutes mes sœurs et tous mes frères qui ont lutté, et qui luttent encore, ici-bas, pour une société plus libre, plus juste, et aussi, plus fraternelle.
Ndack Kane
Représentante des chargées, chargés de cours au Conseil d’administration de l’UQAM
Membre du Comité exécutif du Conseil d’administration de l’UQAM