Cloé Zawadzki-Turcotte, conseillère syndicale à la CSN et avec qui l’équipe syndicale a actuellement le plaisir de travailler, a été très impliquée dans le vaste mouvement de grève ayant eu lieu en 2012. Elle a récemment rédigé un texte pour l’excellente revue Liberté et dont une bonne partie a été publiée dans l’édition du Devoir du 22 mars dernier. On peut trouver le texte complet de Cloé ci-dessous et qui porte le titre « La grève est étudiante, la lutte est populaire ».
Premier mars 2021, 5 h du matin, 2 °C, une pluie glaciale tombe sur l’asphalte noir dans les rues de la ville. J’arrive dans le stationnement du flambant neuf Complexe sportif de Saint-Laurent. Les jeunes membres du Syndicat des travailleuses et des travailleurs des centres aquatiques du Québec – CSN ont adopté un mandat de grève. Ce sera leur première expérience de grève syndicale. Il fait encore nuit, il fait froid. Alors que je sors de ma voiture, un superviseur est déjà en train d’intimider une jeune militante. J’interviens rapidement. La vaste majorité des membres du syndicat ont entre seize et vingt-cinq ans et n’ont absolument aucune expérience syndicale ou militante.
À mon arrivée ce matin-là, je ne connais personne. J’ai eu l’occasion d’adresser quelques mots aux membres du syndicat lors de l’assemblée générale de grève, qui s’est déroulée par vidéoconférence, une semaine auparavant, mais c’est tout.
Je passerai plusieurs jours à leurs côtés, sur le trottoir, devant la porte du Complexe. Plusieurs jours au cours desquels nous aurons à affronter directement l’employeur, à résister à l’intimidation des agents de sécurité embauchés spécialement pour l’occasion et aux visites régulières des forces policières. L’employeur tentera, sans succès, de nous déloger par voie de mise en demeure. Le piquet de grève sera maintenu, l’utilisation de briseurs de grève sera dénoncée auprès du ministère du Travail et nous resterons ensemble dehors dans la slush et le froid de fin d’hiver pour assurer à ces jeunes travailleuses et travailleurs des conditions de travail décentes. En ce mois de mars 2021, j’ai appuyé les jeunes syndiqué·es dans leur lutte, comme presque dix ans auparavant d’autres m’ont aidée à mener la mienne.
Les lignes de piquetage sont des lieux privilégiés de construction de la solidarité, mais également des espaces d’éducation syndicale et militante hors du commun. Et ça, je l’ai appris au printemps 2012.
Ma grève, je l’ai vécue sur les campus des universités et des cégeps du Québec, sur les lignes de piquetage et sur le plancher des congrès hebdomadaires de la CLASSE. J’ai participé à des dizaines d’assemblées générales, de manifestations et d’autres actions de mobilisation, comme organisatrice, animatrice ou simple militante. Dans le feu de l’action, au cœur de la grève, j’ai souhaité, comme tant de mes camarades, que celle-ci aboutisse à des résultats profonds et immédiats. Or, c’est rarement ainsi que les changements sociaux se produisent : les fruits de 2012 se récolteront pendant des années encore.
Pour moi, le legs le plus fécond de la grève de 2012 est celui de la démocratie. Le mouvement de grève puisait toute sa force dans les assemblées générales des associations étudiantes. Cette façon particulière de se réunir, de débattre et de prendre des décisions stratégiques collectivement, c’est ce qui nous rendait aussi tenaces. Le gouvernement avait beau user de toutes ses manœuvres habituelles (démagogie, division, répression, loi spéciale, etc.), notre motivation était toujours plus grande. Le mouvement nous appartenait, nous avions la pleine possession de nos moyens, la pleine mesure de notre pouvoir politique.
Cet héritage a nourri les luttes qui ont été menées depuis. La majorité des étudiant·es de 2012 ont aujourd’hui entre 27 et 40 ans. Ils et elles sont devenus professeur·es, journalistes, travailleuses sociales, artistes, avocat·es, ingénieur·es, éducatrices, infirmières, organisateur·trices communautaires, chercheur·es, commis comptables, député·es. Pour ma part, je suis devenue conseillère syndicale et, comme moi, beaucoup de mes camarades de l’époque s’impliquent aujourd’hui dans leur syndicat, en politique active, dans leur communauté, dans les mouvements sociaux, etc. Nous luttons contre les politiques d’austérité, contre le racisme, pour de meilleures conditions de travail, pour freiner le désastre des changements climatiques. Nous sommes partout. Nous occupons tous les espaces, pour nous mettre en action et nous rapprocher du projet de société que 2012 nous a permis d’imaginer comme étant possible. Parce que le printemps érable a fait craquer, pour un bon nombre de gens, le caractère inéluctable du statu quo. Et nous tentons maintenant, par tous les moyens à notre portée, d’élargir la fissure.
Tous les étudiants et toutes les étudiantes en lutte cette année-là ont fait une démonstration importante : celle de l’effet d’un réel rapport de force à l’œuvre, de tout le potentiel politique qu’un enjeu bien choisi, jumelé à un travail acharné d’organisation, d’information et de mobilisation, et un engagement sincère peuvent donner comme élan à toute une génération.
Mais c’est aussi en puisant dans l’expérience des luttes antérieures que s’est construite cette bataille. Une transmission du savoir s’est opérée entre les générations militantes, et celle de 2012 s’est structurée sur la base du savoir et des leçons tirées des batailles précédentes. Le récit de la grève étudiante de 2005 a été un instrument central dans les campagnes de mobilisation qui ont mené à celle de 2012 – mouvement qui, par ailleurs, a pris des années à se constituer. Or, ce phénomène se reproduit maintenant dans les différents mouvements sociaux actifs au Québec, mais également dans les milieux de travail et en politique active. Le savoir militant percole à travers celles et ceux qui ont vécu et participé au mouvement de grève, tout comme les luttes ouvrières du passé continuent d’inspirer le militantisme syndical d’aujourd’hui. Ainsi, se rappeler les évènements de 2012 relève pour moi, non pas du domaine de la nostalgie, mais bien de la responsabilité : une responsabilité historique de militante. Les enjeux sociaux et politiques de notre siècle, à commencer par l’urgence climatique, nécessitent que nous mettions à contribution l’ensemble de nos forces et de nos capacités pour nous battre afin de préserver notre avenir et celui des générations futures. Et il se trouve que le printemps érable a permis à bon nombre de gens de ma génération de développer des connaissances théoriques et pratiques qui s’avèrent fort utiles en matière de changement social. Nous avons le devoir de les utiliser, comme nous le faisons déjà et comme nous continuerons à le faire. Comme on dit : ce n’était qu’un début, continuons le combat.