Ivan Carel, qui enseigne en histoire à l’UQAM et à l’UQTR, et qui est coordonnateur du Bulletin d’histoire politique, nous a envoyé le délicieux texte qui suit. À lire!
Après des ateliers de zoothérapie, le Service du développement organisationnel (SDO) de l’UQAM nous propose à présent un « parcours prendre soin de soi » afin de promouvoir la santé globale et le bien-être au travail. Dans ce cadre, deux conférences Zoom sont proposées à la bienveillante communauté uqamienne avec une « coach professionnelle certifiée ICF ». Cette dernière se présente ainsi : « Pour moi la connexion à soi est l’élément primordial d’une vie personnelle et professionnelle épanouie. ». Oui, la « connexion à soi », le développement personnel, la bienveillance, tout ça. Parce que dans cette idéologie de la transformation organisationnelle du travail, c’est d’abord par la responsabilité individuelle que passe le bien-être et le bonheur de l’entreprise, donc son efficacité, ou, comme l’affirme le SDO dans sa mission, « l’amélioration de la performance ».
Des milliers d’enseignants précaires et méprisés? Pas grave, qu’ils aillent donc flatter un chien ça va leur faire du bien. Des employés pressurés par une logique managériale bienveillamment performante? Qu’ils suivent l’atelier de la coach de vie, ils retrouveront le bonheur. Ça ne vous fait pas penser au film de Denys Arcand L’Âge des ténèbres? Un atelier de rigologie avec ça?
Qu’on ne se méprenne pas : je n’ai rien contre la zoothérapie ou quelque méthode psychothérapeutique que ce soit par principe : incluses dans un traitement ou une vision globale des rapports humains et organisationnels, elles peuvent sans doute avoir leurs avantages et on peut probablement y trouver des bénéfices. Mais là n’est pas la question.
Il est des injustices structurelles exacerbées par la pandémie. Je peux témoigner des chargés de cours, précaires perpétuels qui en ont bavé, n’ont aucune sécurité d’emploi session après session, même après 10 ou 30 ans à enseigner à l’université, font de la recherche bénévolement sans reconnaissance aucune, et doivent essuyer le mépris de l’administration. Mais plutôt que de remettre en cause le fonctionnement, la structure (oh, le vilain mot!), on rejette la responsabilité sur l’individu, à qui on demande de faire sa juste part pour la « création d’un milieu de vie sain et stimulant, favorable à l’épanouissement des personnes ».
Un brin de nouvel âge, un soupçon de développement personnel, des coachs de vie certifiés en jargon psychopop, tout pour s’assurer que le brouillard de clientélisme et le discours d’efficacité organisationnelle continue à dissimuler la perte de sens de l’université. Car où est la mission scientifique, où est le devoir de respect de tout un chacun qu’une université se devrait d’être le porteur? Une institution d’éducation devrait être le lieu premier où s’exerce ce qu’on y enseigne : l’esprit critique, hors des diktats des modes et idéologies managériales, le respect réel des humains, enseignants, étudiants, employés, hors des impératifs du clientélisme.
Les annonces de ces ateliers me font l’effet d’une insulte, d’une gifle au visage. Alors que je tente d’amener les étudiants à une compréhension critique, contextualisée et scientifique des phénomènes naturels ou sociaux qui nous entourent, voici que l’université elle-même m’incite à plonger dans l’individualisme et la croissance personnelle. Il me semble pourtant que le premier pas vers une « communauté bienveillante » serait d’écouter le vécu et les doléances de ses membres collectivement, et d’y donner suite par des changements de fond, pas de les culpabiliser ou de les gaver d’une idéologie de développement personnel qui ne fait que camoufler les responsabilités qu’elle a à titre d’institution publique d’enseignement et de recherche.