Le syndicalisme aux États-Unis en voie d’extinction?


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Le verdict est tombé hier.

À cinq juges contre quatre, la Cour Suprême des États-Unis a décrété que les cotisations syndicales obligatoires dans le secteur public violaient la constitution américaine.

Pourtant, il y a plus de 40 ans, la Cour Suprême avait jugé qu’il était légitime d’exiger d’un salarié américain qu’il cotise une somme raisonnable, considérant que le syndicat représentait tous les employés et négociait pour eux tous également.

En obligeant les salariés, syndiqués ou non, à payer une somme couvrant les frais de représentation et de négociation, mais pas les activités politiques du syndicat, on voulait ainsi éviter le phénomène des « free riders », ces gens qui ne cotisent pas mais bénéficient quand même des conditions et avantages négociés pour eux.

C’est un fonctionnaire travaillant pour l’État de l’Illinois, Mark Janus, qui a lancé l’action judiciaire. Travaillant pour le service de protection de la jeunesse de la ville de Springfield, il jugeait que son obligation de cotiser à un syndicat contrevenait à sa liberté d’expression.

Si certains partisans de la droite, dont le président américain, ont souligné le verdict comme étant une victoire, il s’agit d’une cuisante défaite pour le mouvement syndical américain.

Suite à ce jugement, le syndicat American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME), qui était contre Monsieur Janus, et les autres syndicats du pays pourraient perdre des dizaines de millions de dollars selon le New York Times.

Cette décision affectera directement 5 millions d’employés de collectivités locales dans une vingtaine d’États. Alors que plus d’un tiers des fonctionnaires américains sont syndiqués, seulement 6,5% de leurs homologues au privé le sont.

Historique d’un long déclin

Ce qui est le plus inquiétant est que cette décision s’inscrit dans une lourde tendance. Le recul de la représentativité des syndicats chez nos voisins du Sud s’intensifie depuis plusieurs décennies, atteignant aujourd’hui son plus bas niveau historique.

En 1935, Franklin D. Roosevelt passait le National Labor Relations Act, aussi connu sous le nom de Wagner Act. Selon cet acte, une entreprise pouvait décider d’avoir l’un des statuts suivants :

  • un closed shop, où l’adhésion au syndicat était conditionnelle à l’embauche;
  • un union shop, qui permettait tout de même d’employer des salariés non-syndiqués moyennant qu’il rejoignent le syndicat après une période donnée;
  • un agency shop, qui permettait aux employés de joindre un syndicat ou non, mais requérait qu’ils paient tout de même des frais de représentation;
  • un open shop, dans lequels un salarié ne peut pas se faire forcer à joindre ou à cotiser pour un syndicat.

En 1947, le Congrès américain passait le Labor Management Relations Act, aussi connu sous le nom de Taft-Hartley Act, en passant par-dessus le veto du président Harry S. Truman. Venant amender le Wagner Act, cette loi rendait illégaux les closed shops, où la syndicalisation était obligatoire, et permettait aussi aux États de rendre illégaux les unions shops et les agency shops.

Les right-to-work laws

Les lois étatiques passées pour interdire tout sauf les open shop sont appelées des right-to-work laws. Notamment poussées au Texas par Vance Muse dans les années 40, ces lois étaient promues initialement en se basant sur des arguments ségrégationnistes, certains considérant qu’il était inacceptable que des Blancs et des Noirs soient obligés de joindre le même syndicat.

D’autres arguments en faveur des right-to-work laws prétextaient qu’il était injuste que des minorités dissidentes se voient imposer les décisions d’une majorité à travers un syndicat imposé.

Aujourd’hui, 28 États ont des lois de right-to-work. Si les études sur les impacts économiques de telles lois sont multiples et peu concluantes vu la difficulté de comparer des contextes différents d’un état à l’autre, une étude du Economic Policy Institute datant de 2011 a démontré que, compartivement aux états dans lesquels il n’existait pas de right-to-work laws, dans les états où il en existait, les salaires étaient 3,2% plus bas, le taux d’employeurs assumant les frais d’assurance maladie étaient 2,6% moins élevés et le taux de pensions offertes par les employeurs était 4,8% moins important.

Stratégie de longue haleine

Cette victoire pour les regroupements anti-syndicaux s’inscrit dans une stratégie bien planifiée.

En plus d’avoir bénéficié de campagnes systématiques pour porter le « coup fatal » aux syndicats, notamment à travers des initiatives du State Policy Network, la cause a été gagnée grâce à la nomination du juge très conservateur Neil Gorsuch à la Cour Suprême, évitant ainsi un verdict nul comme cela avait été le cas le 29 mars 2016 alors que le vote s’était soldé à quatre contre quatre.

Avec une autre cause dans le même genre suspendue en attente du verdict rendu hier, le jugement prononcé vient non seulement de faire jurisprudence, mais a potentiellement ouvert la voie à de nombreux autres verdicts en ce sens.

Le syndicalisme américain serait-il donc en voie d’extinction?