Humeur exécutive : Si on s’y met à plusieurs

Il était une fois, une discussion avec la plus grande de mes filles…

MAMAN- Tu te rappelles de Caroline, la présidente de la FNEEQ? Tu trouvais son discours inspirant lors du Congrès fédéral qui s’était tenu cette année sur Zoom.

GRANDE FILLE- Ah oui, je me souviens d’elle!

M- Eh bien, elle t’a dédicacé ce livre que j’ai reçu lors du souper de Noël du syndicat.

GF- « 50 ans À faire l’école par nos luttes »… Merci beaucoup!

M- Tu te souviens de ce qu’est un syndicat n’est-ce pas?

GF- Oui, on a vu ça en Univers social à l’école. C’est quand des travailleurs se mettent ensemble pour avoir un bon salaire, des heures de travail raisonnable, des choses comme ça…

M- Voilà. Et en ce moment, à l’UQAM, mes collègues et moi du syndicat sommes justement en train de négocier ce que l’on appelle « une convention collective » avec l’université.

GF- Vous voulez un meilleur salaire?

M- Comme tu le sais, pour un travailleur, cela ne se résume pas au salaire parce que le problème n’est pas uniquement ce que tu gagnes aujourd’hui. C’est aussi et surtout pendant combien de temps tu peux le gagner et quelles autres considérations tu peux avoir droit avec ton contrat de travail.

Parce que, finalement, le salaire sert ensuite, d’une part, à consommer, comme quand tu fais ton épicerie ou quand tu achètes des médicaments. Et, d’autre part, à investir comme quand tu paies une hypothèque pour ton logis ou que tu paies des cours de soccer à ton enfant.

GF- C’est vrai. Mais toi, tu as ton salaire tant que tu veux enseigner là-bas n’est-ce pas?

M- C’est plus compliqué cela. Mes collègues et moi, on travaille pour des contrats de 45 heures avec l’université. Avant chaque session, il y a une liste de cours que les chargés de cours peuvent donner. Mais nous ne savons pas d’avance combien de cours nous allons donner. Nous sommes informés session après session. C’est pourquoi tu peux trouver des chargés de cours qui ont des contrats dans plusieurs universités ou qui ont aussi d’autres emplois en dehors des universités.

GF- Et vous donnez beaucoup de cours?

M- À l’UQAM, au premier cycle, sur cinq cours offerts, nous en donnons au moins trois.

GF- Donc, vous donnez beaucoup de cours!

M- Oui. Et il y a des mesures qui pourraient être prises pour nous offrir plus de sécurité d’emploi et conserver ainsi la bonne qualité de l’enseignement. C’est une erreur que de tenir cette dernière pour acquise.

GF- Pourquoi l’université ne prend pas ces mesures?

M- Parce que, même si l’ignorance coûte bien plus cher, eh bien l’éducation, c’est coûteux aussi, car rien n’est gratuit. Donc, en tant qu’établissement d’enseignement, tu te dois de tenir un budget pour savoir si tu as les moyens de tes ambitions. Or, ce qui coûte le plus cher dans le fonctionnement annuel de l’université, ce sont les salaires… Donc les années où tu n’as pas assez d’étudiants par exemple, tu pourrais ne pas offrir certains cours pour dépenser moins… Ce qui fait donc moins de cours pour les professeurs-enseignants que nous sommes…

GF- Oh…

M- C’est le gouvernement du Québec qui fournit, en très grande partie, le financement pour le fonctionnement des universités au Québec. Or, la politique du gouvernement est de nous financer suivant la quantité des inscriptions d’étudiants à temps plein, et à condition que notre budget soit équilibré. Ou que l’on prenne au moins des mesures pour l’équilibrer, comme avec des coupures par exemple.

GF- C’est quoi un budget équilibré?

M- C’est quand toi, par exemple, tu ne dépenses pas plus que ton argent de poche.

GF- Ah… Donc quand je te demande une avance sur mon argent de poche, mon budget n’est pas équilibré?

M- Hum… Ce n’est pas tout à fait cela. Toi, tu as la certitude d’avoir ton argent de poche parce que personne ne fera tes tâches à ta place! C’est pour cela que tu te permets de demander une avance. L’UQAM, elle, n’a pas la certitude d’avoir la subvention qu’elle veut, même si collectivement nous travaillons tous bien fort, puisque les étudiants peuvent choisir d’aller dans d’autres universités…

GF- Oh…

M- Au syndicat, on appelle cette façon de mettre les universités en concurrence « la marchandisation de l’éducation ».

GF- Comme quand j’hésite entre plusieurs magasins au centre commercial?

M- Oui. Il n’y a pas de mal à donner de la diversité au niveau des programmes aux étudiants, au contraire. Par contre, les universités devraient plutôt se coordonner et collaborer entre elles pour offrir des programmes de qualité, qui respectent l’esprit académique commun. Au lieu de cela, elles mettent beaucoup d’efforts pour, chacune, attirer le plus d’étudiants sur son campus, afin de recevoir les subventions qui leur permettent de fonctionner.

GF- Mais pourquoi le gouvernement fait ça?

M- C’est parti d’une bonne intention. Cette politique était pensée, au départ, dans le but de démocratiser l’enseignement supérieur et de subventionner plus directement les étudiants là où ils se trouvent. Mais au final, la qualité de l’enseignement en pâtit. Et les professeurs-enseignants commencent à être fatigués de courir aux quatre coins de la ville, et au-delà, pour combler leurs besoins, selon les programmes du moment qui attirent le plus d’inscriptions.

GF- Que peut-on faire pour changer ça?

M- Heu… Toi et moi? Rien! Mais si on s’y met à plusieurs, peut-être verrons-nous des améliorations?

GF- Ah, comme dans un syndicat!

M- Voilà, comme dans un syndicat!

 

Ndak Kane
Département de sciences économiques
Représentante du SPPEUQAM au conseil d’administration de l’UQAM
Membre du Comité exécutif