Empathie et tolérance sur le campus
« Les normes sociales sexuées et genrées sont des modèles qui définissent ce qui devrait être associé au masculin ou au féminin. Elles sont souvent apprises très tôt dans la vie, sans même s’en rendre compte on les intègre et ça nous influence dans notre définition de nous-même, dans nos interactions avec les autres et dans notre vision du monde. Et évidemment, elles contribuent à définir ce qui est acceptable ou non concernant un phénomène social, comme celui des violences à caractère sexuel. »
Ceci est extrait d’une capsule-vidéo élaborée par le Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement de mon université. C’est une excellente vidéo qui, dans une belle mise en scène, illustre de manière très pédagogique, comment certaines paroles et certains actes peuvent être blessants pour votre interlocuteur. Personnellement, je trouve que la constante qu’il y a, derrière tous les témoignages montrant des violences à caractère sexuel, est l’absence d’empathie face à l’aventure humaine que vit l’autre, qu’il ait intégré le « soit fort et tais-toi », qu’elle ait intégré le « soit belle et tais-toi », qu’elle ait intégré le fait d’être réduite à un simple objet sexuel exotique, ou qu’iel ait un manque de reconnaissance de son identité de genre.
Ceci étant dit, j’aimerai ici ajouter une chose. De ces quatre cas, celui qui m’est le moins familier est celui sur le manque de reconnaissance de l’identité de genre. Je suis enseignante à l’université parce que j’aime apprendre. Quand quelque chose ne m’est pas familier, je fais des recherches, je lis. Je connais donc, intellectuellement, plusieurs identités de genre aujourd’hui. Mais cela ne veut pas dire que je les ai intégrées et que, dans mon langage, j’utiliserai systématiquement les mots qu’il faut. Ceux qui le souhaite sont libres de me corriger et je ferai les rectifications que je pourrai, selon mes capacités.
La tolérance devra donc se faire dans les deux sens. Il faudra tolérer que je me trompe parfois, voire souvent, car moi aussi j’ai mes particularités, comme tout le monde. Car chacun de nous est unique. Par exemple, j’ai un peu de dyslexie, alors je ne commencerai pas, dans ma quarantaine, à écrire les « étudiant.e.s ». Non, ce sera les « étudiants » et ceux qui sont blessés par cette forme d’écriture non inclusive sauront que, dans mon cas, c’est écrire « étudiant.e.s » qui me blessent, moi, dans mon identité de dyslexique. En effet, chacun de nous a plusieurs identités, ceux qui n’entrent pas dans les cases hommes/femmes ne sont pas les seuls à ne pas toujours se sentir bien dans leur corps, dans leur peau, dans leur esprit. La souffrance intérieure liée à la condition humaine est la chose la mieux partagée au monde. À un moment donné dans le temps et dans l’espace, oui certaines personnes sont bien plus malheureuses que d’autres. Mais personne ne peut dire, qu’au cours de sa vie, il n’a jamais expérimenté ce qu’est la souffrance intérieure.
Aussi, sachant que je suis une personne très polie tant qu’on ne l’insulte pas, et très empathique, tant qu’on ne l’agresse pas, j’aimerai que la communauté universitaire sache que, dans ma classe, aucun harcèlement ne sera toléré sur ma personne parce qu’un étudiant se sent blessé par mes mots. Je suis une femme, le monde ne tourne pas du tout autour de moi ou des femmes en général, mais il ne tourne pas non plus autour du non binaire. Il tourne autour de l’ensemble des êtres vivants. Et si, dans ma classe, un non binaire s’offusque un jour parce que j’aurai utilisé, par exemple, le mot « femme », il peut m’en parler et je lui expliquerai pourquoi il doit tolérer le mot « femme » dans un certain contexte. S’il ne peut pas le tolérer, cela va être compliqué pour lui mais pas pour moi, car je ne vais pas me censurer. En effet, l’empathie, c’est pour tout le monde. La tolérance, c’est pour tout le monde. Autrement, c’est l’autoritarisme des uns sur les autres.
Et, dans ma salle de classe, s’il doit y avoir une autorité, eh bien, ce sera moi.
L’échange en présentiel
Ce matin-là, à la fin de mon cours, j’offre à un étudiant une petite consultation. Nous analysons les erreurs qu’il avait commises lors de son examen intra-semestriel:
Lui: Madame, qu’elle est la réponse à cette question?
Je lui explique ce qu’il en est.
Lui: Ah mais bien sûr, évidemment… Comment ai-je pu passer côté de ça? Je savais tout ça.
Moi: Oui mais, comme le dit mon fils, apparemment, au moment de l’examen, vous ne saviez pas que vous le saviez!
– Ah ! Mais il a bien raison, c’est exactement ce qui m’est arrivé…
– Socrate disait: « Je sais que je ne sais rien ». Chez mon fils c’est plutôt: « Je ne sais pas que je sais »!
– Il est bon votre petit!
– Tout de même, ce serait bien qu’il ait les mêmes notes que vous à ses examens!
– Madame, vous pouvez dire ça parce que vous me connaissez seulement maintenant que je suis à l’université.. Mais cela n’a pas toujours été comme ça!
– Ah bon?
– Moi? Nooonn! Mon père était toujours sur mon dos Madame, il était complètement découragé tellement je n’étais pas à mes affaires!
– Hahaha!
– Je n’ose même pas vous dire quelles notes j’ai déjà eues au primaire et au secondaire. Je me débrouillais tout le temps pour avoir tout juste la moyenne et passer en classe supérieure!
– Incroyable!
– Je n’étais intéressé qu’à mes cours d’histoire ! C’est là que j’avais de bonne notes. Il fallait qu’on me conte quelque chose, qu’il y ait de l’action et à ce moment-là, j’étais captivé… Bizarrement, à l’université cela a changé. J’arrive à faire les bons liens, mes notes sont devenues très bonnes, c’est fou… Quand mes parents regardent mes bulletins, ils ne me reconnaissent pas!
– Cela me fait penser, le Métavers de Mark Zuckerberg cherche notamment à innover en matière d’enseignement. Donc, dans les cours d’histoire, on pourrait immerger l’étudiant complètement dans la période à l’étude via son avatar, comme lorsque l’on joue dans un jeu vidéo avec un casque de réalité virtuelle.
– Wow ! C’est sûr que j’aurai adoré un tel outil quand j’était petit!
– L’ennui avec ces innovations est qu’elles ont tendance à couper le lien enseignant-étudiant. C’est un avatar qui vous guidera dans le Métavers à ma place…
– Un avatar ne pourra pas raconter une histoire aussi bien que vous Madame, ce ne sera pas la même chose. Cela peut être un outil de soutien. Mais complètement remplacer l’enseignant… J’en doute. En plus, ils auront besoin de vous pour coder l’avatar!
– Vous voulez dire qu’il faudrait que je me remette à apprendre du code?…
– Oh, ne soyez pas découragée Madame ! Et merci beaucoup pour votre temps, c’est très apprécié.
– Cela me fait plaisir! Merci beaucoup pour cet échange et passez une excellente et studieuse semaine!