Montréal, le 18 mars 2019
« Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : le Pape et le Czar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et les policiers d’Allemagne. »
Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, 1848
Un spectre hante le SPUQ
Ce spectre, c’est l’institutionnalisation du groupe des chargé.e.s de cours ou si on préfère des professeures et professeurs enseignants. Déplorant l’absence de monopole juridique sur le titre de professeur, le SPUQ dénonce dans le dernier numéro de son journal cette usurpation symbolique de leur identité [1] à la suite du récent changement de nom opéré par le SCCUQ.
Le choix du SPUQ
Le SPUQ ne peut invoquer sa méconnaissance de l’intention du SCCUQ de déposer une requête en vertu de l’article 39 pour changer son nom comme syndicat. Toutefois, il souligne son incapacité juridique pour arrêter ce choix. Il en a discuté avec l’employeur et a obtenu un avis juridique de leur conseiller syndical. Ainsi, le SPUQ n’est pas intervenu, le 10 janvier dernier, lors de l’audition au Tribunal administratif du travail sur la requête déposée par le SCCUQ. C’est son choix. Pourtant, à mon humble avis, les décisions du TAT étaient ambiguës. On fait mention, dans les décisions, de la possibilité de confusion et d’un recours devant un autre forum, soit le registraire des entreprises. Ainsi dans un dossier, la Commission des relations de travail conclut qu’elle ne considère pas « …que le nouveau nom du syndicat requérant risque de créer véritablement de la confusion ». Mon humble compréhension c’est qu’on peut également y lire son contraire, à savoir que la Commission pourrait considérer « que le nouveau nom du syndicat risque de créer de la confusion ». On aurait également pu mettre en évidence que, vis-à-vis de à la Loi sur l’Université du Québec, cela pourrait entraîner des problèmes afin de savoir à qui s’applique le terme « professeur » inscrit dans ce texte législatif. Le SPUQ a décidé de ne pas prendre cette voie et son choix est clair (« Nous n’avons donc pas entrepris cette démarche, qui aurait été vaine »). Il est vrai que le TAT devait accueillir la demande de changement de nom sans rien dire à ce sujet. Ce changement ne constitue qu’une actualisation de l’accréditation. [2] L’UQAM a fait le même choix. Cette abdication confirme que les absents ont toujours tort et surtout que, sous l’angle du risque de confusion, le SPUQ aurait pu faire du « millage » en soumettant des représentations pour saisir le Tribunal des problèmes générés par le changement de nom. Il faut mieux intervenir et attendre la décision du Tribunal.
Un socle idéologique bien fixé
Le SPUQ aime souligner la cohérence de son discours par rapport à la place des chargé.e.s de cours. Pour expliquer la situation actuelle, on revient sur les accréditations syndicales distinctes de 1971 (SPUQ) et de 1978 (SCCUQ) et le choix des chargés de cours, en 1976, de former un syndicat autonome. Ce qu’il faut regarder en premier lieu, ce sont les choix initiaux du SPUQ :
- Lors de son accréditation en 1971, le SPUQ choisit d’exclure les personnes rémunérées sur « une base horaire ou forfaitaire ». Ce choix est lié à l’obtention de leur accréditation qui aurait pu être refusé si on incluait les chargé.e.s de cours, car cela risquait d’empêcher l’obtention des seuils requis par le Code de travail pour obtenir une accréditation.
- À la suite de l’échec de deux campagnes de syndicalisation des chargé.e.s de cours à l’été et l’automne 1972, le SPUQ était confronté à un risque objectif de mettre en péril leur propre accréditation [3] avec l’inclusion des chargé.e.s de cours dans leur unité syndicale. En lieu et place, il adopte une orientation qui sera sienne de 1972 à 1982, soit la réduction du nombre de cours donnés par des personnes chargées de cours et l’ouverture de postes de professeur.e.s, orientation qui survit jusqu’à nos jours. On se plaît à souligner que cette position a été partagée par les membres fondateurs du Regroupement des chargés de cours qui œuvrait à ce moment-là pour la syndicalisation des chargé.e.s de cours. On oubli que le SCCUQ avait adopté une autre orientation stratégique dès 1981 qui visait désormais non pas à disparaître, mais à « vivre de nos charges de cours » [4], et ce, bien avant que le mirage de l’accès à des postes de professeurs disparaisse en 1983.
- Le SPUQ a renoncé, lors du renouvellement de la négociation de 1983-1986, et ce, en dépit de décisions arbitrales et de jugements des tribunaux supérieurs (Cour d’appel qui casse une décision de la Cour supérieure) décision de la Cour supérieure qui confirme une autre décision arbitrale sur l’engagement de 383 postes de professeur.e.s. On peut le dire aisément, c’était la « manne » à la suite de ces victoires juridiques qui ne laissaient plus de place à des manœuvres dilatoires de la part de l’Université. Le Comité exécutif actuel rappelle la conjoncture difficile pour expliquer ce choix (« Hélas, 1982, c’est aussi l’époque d’une grave récession, d’une loi imposant des coupures allant jusqu’à 20 % dans les salaires, etc. »). C’est le même argument avancé naguère par Louis Gill. Une autre hypothèse, qui serait à valider, c’est que le SPUQ, face à une demande patronale qui voulait augmenter la charge de travail de quatre cours par année universitaire à cinq, a renoncé à ces décisions judiciaires favorables pour maintenir le statu quo de leurs charges d’enseignement. C’est moins noble et plus corporatif pour expliquer ce choix du SPUQ d’assurer « le maintien des autres aspects de nos conditions de travail », pour paraphraser Louis Gill. [5] Le Comité exécutif du SPUQ agite le spectre que cette nouvelle dénomination de professeures, professeurs enseignants mène « … implicitement à l’institutionnalisation d’une deuxième catégorie de professeurs ». C’est le même discours, à quelques mots près, que le SPUQ tenait lors de la grève du SCCUQ en 1979 :
« …est-ce qu’un syndicat autonome de chargés de cours ne tend pas, à long terme, à l’institutionnalisation du statut de pigiste de l’enseignement? Et, en corollaire, cette institutionnalisation ne vient-elle pas contrer l’un des objectifs principaux des syndicats
d’enseignants universitaires: l’ouverture de postes de professeurs réguliers en vue d’accroître la qualité de l’enseignement et de la recherche? » [6]
Ce qu’il faut retenir c’est le choix fait par le SPUQ de renoncer conventionnellement, par une entente librement négociée, lors de la cinquième convention collective (1983-1986) aux 383 postes obtenus et à la clause 10.24 qui assurait une croissance du nombre de cours assumés par les professeurs. Le SCCUQ n’est pas responsable de ce choix historique avec lequel le SPUQ vit encore. Par ailleurs, ce n’est pas la nouvelle dénomination du SCCUQ, ni ses déclarations, qui modifient une réalité institutionnelle voulant que la majorité des cours donnés à l’UQAM le sont par des chargé.e.s de cours :
% de cours donnés | |||||||
2010-2011 | 2011-2012 | 2012-2013 | 2013-2014 | 2014-2015 | 2015-
2016 |
2016-2017 | |
Professeur | 40,7% | 41,4% | 43,4% | 42% | 41,9% | 42,7% | 41,6% |
Chargé de
cours |
59,3% | 58,6% | 56,6% | 58% | 58,1% | 57,3% | 58,6% |
Source : Rapport de l’Université du Québec à Montréal. Bilan et perspectives 2016-2017, p.6.
Pour ajouter à ces informations, on pourrait aussi reprendre les données relatives aux nombres de cours assumés par les deux catégories et, là aussi, les chiffres révèlent que cette institutionnalisation n’est pas un danger à venir, mais une réalité omniprésente depuis des années. Ainsi en 2016-2017 les professeurs ont donné 3 144 cours alors que les chargé.e.s de cours ont donné 1 118 cours de plus, soit 4 232. La présence des chargé.e.s de cours a été consolidée depuis des années au Conseil d’administration, à la Commission des études, aux comités de programme (présence assurée par une ouverture du SPUQ, il faut le reconnaître, même si cela a pris trop de temps, et à la suite de pressions de la partie patronale) sans oublier la Déclaration institutionnelle sur la reconnaissance et l’intégration des personnes chargées de cours adoptée par les instances de l’Université. Je n’aborderai pas ici les changements à la « condition » des chargé.e.s de cours à la suite de négociations de conventions collectives.
« Les professeur.e.s ne retirent aucun avantage du recours massif aux chargé.e.s de cours dans le système universitaire québécois. »
Cette position clairement affirmée par le Comité exécutif du SPUQ me semble trop succincte et mérite un examen plus serré pour saisir le recours massif aux chargé.e.s de cours, qui ne s’explique pas seulement par les manquements de l’État québécois (dont une dotation insuffisante pour l’ouverture de postes de professeur.e.s). L’imputation au politique est un réflexe ancien, et en ramenant le thème du sous-financement des universités et de l’UQAM répété à satiété depuis les années 1970, il ne nous éclaire pas complètement sur la question.
Dans son mémoire déposé pour s’opposer à l’accréditation des chargé.e.s de cours, l’UQAM expliquait en 1977 la présence de ce groupe de la manière suivante :
« La présence des chargés de cours répond à un double besoin des universités : combler un poste vacant à court ou à moyen terme, et parfois pour une seule session, rendre possible aux universités le respect de certaines contraintes budgétaires qui leur ne permettraient pas d’engager autant de professeurs réguliers » [7]
Que ce soit pour le remplacement de professeurs en congé de perfectionnement, en congé sabbatique ou autres congés ou que ce soit à la suite de l’obtention de dégrèvements d’enseignement pour des motifs précis (par exemple : « trois cent quatre-vingt-dix (390) crédits aux fins de la recherche ou de la création », selon la clause 10.25), c’est toute l’organisation du travail prévue à la convention collective du SPUQ qui génère aussi le recours aux chargé.e.s de cours. À cela s’ajoute l’évolution de la tâche professorale vers la recherche avec le développement des études supérieures et l’emphase donnée aux dossiers de recherche lors de l’embauche de nouveaux professeurs (les professeurs à l’UQAM ont commencé très tôt à utiliser l’expression professeur.e-chercheur.e pour se démarquer de ces chargé.e.s de cours rivés à l’enseignement) constitue aussi un autre facteur qui permet de tirer au clair le recours massif aux chargé.e.s de cours. Il est quand même significatif que, lors de la négociation de 2007-2009 et l’augmentation du nombre de postes de professeur.e.s qui en a découlé, une réalité demeure : ce sont les chargé.e.s de cours qui sont les plus nombreux à donner des charges de cours à l’UQAM. Par ailleurs, il faut rappeler le constat sévère posé dès l’an 2000 par Jean-Marc Piotte, professeur à la retraite du Département de sciences politiques et dirigeant et militant syndical du SPUQ sur l’échec de cette politique adoptée dès 1972 :
« Cette politique de réduction du nombre de chargés de cours pour les remplacer par des professeurs à temps plein fut reprise par la Fédération québécoise des professeures et des professeurs d’université (FQPPU). Elle est toujours celle du SPUQ et de la Fédération, même si elle n’a donné aucun résultat depuis maintenant près de trente ans ». [8]
De 1972 à 2019, on approche les cinquante ans!
Les craintes du SPUQ.
Ce qui me frappe à la lecture de la position du Comité exécutif du SPUQ, c’est le double message transmis à leurs membres. Il y a le volet rassurant lorsqu’on écrit qu’on est seulement dans l’ordre du symbolique (quoiqu’on déplore avec vigueur l’usurpation d’identité commise par l’autre syndicat). Puis arrive l’aspect inquiétant. En effet, après avoir justement rappelé que le changement de nom n’affecte en rien les territoires délimités par les certificats d’accréditation, les conventions collectives et leurs dispositions respectives, les textes réglementaires et politiques de l’UQAM ni par la loi constitutive de l’Université du Québec, on s’engage dans l’énumération des dangers prévisibles parce qu’ils se sont réalisés ailleurs dans le monde universitaire. Voici les risques identifiés par la direction du SPUQ :
- Quelle serait la proportion, lors de l’ouverture de postes de professeurs enseignants et de professeurs chercheurs, qui irait à l’un ou l’autre groupe?
- Une hiérarchisation du corps professoral pourrait aboutir à un déclassement dans le cadre du processus d’évaluation vers la relégation au statut de professeur enseignant.
- La possibilité que les professeurs enseignants aient la priorité lors des choix de cours avant les professeurs chercheurs.
La direction du SPUQ le sait bien, aucun de ces éléments peut advenir en fonction des certificats d’accréditation et des conventions respectives des deux groupes. On énumère des dangers menaçants, mais avec une conclusion en demi-teinte : « Tout ceci n’est pas automatique, mais ce sont des possibilités concrètes pesant actuellement sur les conditions de travail de collègues d’autres universités. » Je doute fortement que ce soit des possibilités concrètes à l’UQAM.
- C’est la convention collective du SPUQ qui encadre l’ouverture de poste de professeurs.
- La procédure d’évaluation des professeurs.e.s est balisée par la convention collective du SPUQ.
- La convention collective du SCCUQ est claire : le choix de cours intervient après celui effectué par les professeur.e.s.
En guise de conclusion
Le Comité exécutif du SPUQ termine son texte par une ouverture même si le texte du président conditionne « tout combat commun » qui « n’est possible qu’à condition de ne pas confondre, comme y invite le récent changement de nom du SCCUQ, le statut et les tâches des chargé.e.s de cours et des professeur.e.s ». Le SPUQ rappelle le projet pilote accepté par le SCCUQ, le SPUQ et l’UQAM en 2004. « Projet pilote » bien corseté, le titre de l’article de présentation de ce projet, par le vice-président du SPUQ, révèle bien l’enthousiasme tempéré du SPUQ : « Un nouveau statut à l’UQAM pour certaines personnes chargées de cours Renforcement de l’Université ou cheval de Troie? » avec une lettre d’avertissement à l’Université comme seul le SPUQ peut le faire. [9] On rappelle les propositions formulées contre la précarité des chargées.e.s de cours et le tout inscrit dans l’objectif de permettre l’accès à la carrière professorale et l’ouverture, en conséquence, de postes de professeur.e.s. Le problème principal c’est que ces propositions ne sont pas aussi alléchantes qu’elles apparaissent. L’augmentation du corps professoral menant à une réduction des charges d’enseignement disponibles ne peut que susciter plus de craintes que d’espoir (lors de la grève du SPUQ, en 2009, beaucoup d’échanges ont porté sur cette question entre les deux groupes). Par ailleurs, trois autres éléments ne sont pas considérés suffisamment:
- Le profil de la diplomation des personnes chargées de cours, pour la vaste majorité, ne répond pas au critère d’embauche de la détention d’un doctorat. Et celles qui en ont un sont piégées par le fait d’avoir été une personne chargée de cours pendant quelques années.
- Les dossiers de candidature en général des personnes chargées de cours qui détiennent un doctorat s’avèrent souvent insuffisants en ce qui concerne les publications requises pour l’accès au corps professoral.
- La volonté de stabilisation de l’emploi des personnes chargées de cours qui subissent les incertitudes de l’accès au travail sur une base annuelle ou trimestrielle.
Il faut en convenir, le spectre du communisme est bien daté tandis que celui à l’égard de l’autre groupe syndical est bien figé. Tel Sisyphe, c’est un éternel recommencement que cette bataille contre « l’institutionnalisation d’une deuxième catégorie de professeurs ». Nous sommes en présence d’une impasse et il ne sera pas aisé d’y trouver une issue.
Avec respect,
Jocelyn Chamard.
Chargé de cours à la retraite.