La rectrice inspire une histoire pour Ndack Kane

Mon privilège

En 2017, je donnais un cours d’économie du développement à des étudiants de baccalauréat à l’UQAM. Nous en sommes arrivés au chapitre sur la population. Dans les données, nous observons que l’Afrique est le seul continent où le pourcentage de la population vivant dans l’extrême pauvreté a reculé, mais, sous l’effet de la croissance démographique, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté augmente.

Nous en sommes donc venus à discuter de programmes de limitation des naissances pour que la croissance des revenus (la vitesse d’augmentation de la tarte) ne soit pas systématiquement moins élevée que la croissance de la population (la vitesse d’augmentation de ceux qui se partagent la tarte). Et ceci, pour ne pas avoir une baisse du revenu par habitant (une part de tarte de plus en plus petite pour chacun).

C’est là qu’un étudiant africain me fait remarquer que mon explication ressemblait à celle d’Emmanuel Macron, le président français.

À noter qu’il y avait beaucoup d’étudiants étrangers dans le cours. Les étudiants québécois constituaient au maximum la moitié des inscrits, s’ils n’étaient pas minoritaires. Les autres étudiants étaient souvent des Africains et des Européens, dont des Français. À ce moment-là de l’échange, des étudiants européens ont baissé la tête avec un sourire gêné. Les étudiants africains me regardaient et attendaient ma réponse. Je continuais alors mon échange avec l’étudiant :

Moi : Oui, Macron avance le même type d’argument. Trouvez-vous l’analyse fausse?
Lui : Non, lorsqu’expliqué comme cela, je comprends l’idée. Quand bien même, beaucoup de pays d’Afrique sont encore aujourd’hui sous-peuplés et donc manquent de ressources humaines.
Moi : C’est vrai et il est vrai également que le développement est une question multidimensionnelle. Mais nous nous concentrons aujourd’hui sur le thème de la population. Or, le dividende démographique que vous évoquez n’est pas qu’une question de population, c’est d’abord et surtout une question de capital humain, c’est-à-dire de santé et d’éducation. Si vous n’investissez pas en capital humain, votre ressource humaine ne sera pas suffisamment valorisée et ne pourra donc pas contribuer comme vous le souhaitez à la croissance économique. Par contre, elle continuera à avoir des besoins de base comme se nourrir et se loger, alors que votre taux de chômage explose.
Lui : Oui, nous sommes d’accord, je comprends cette dynamique.
Moi : Ah, vous êtes d’accord avec Macron alors?
Lui : Je n’ai pas dit ça!
Moi : Mais s’il disait exactement la même chose que moi, seriez-vous d’accord?
Lui : Madame, le problème que j’ai avec Macron, c’est sa position.
Moi : Ah, parce qu’il est homme et blanc, il ne devrait pas se prononcer sur le taux de fécondité des femmes en Afrique, c’est ça?
Lui : Voilà, c’est exactement ça!
Moi : Ah, et moi, comme je suis une femme et noire… Ceci étant dit, une déduction logique devient-elle illogique selon qui la conçoit?

Face à l’absurdité de la situation sur le plan scientifique, l’étudiant sourit. En voyant sa gêne, je me suis mise à rire. Mon rire fut contagieux et se transmit aux autres étudiants et plusieurs se détendirent enfin, dans un rire cathartique.

Ndack Kane
Représentante du SPPEUQAM au Conseil d’administration de l’UQAM

Pour lire la communication de la rectrice.